• Certaines n'avaient jamais vu la mer

     

     

     

    Si certaines n’avaient jamais vu la mer, toutes avaient une bonne raison de la traverser. De l’autre côté se trouvait un époux.

    Le destin brisé de milliers de jeunes japonaises émigrées aux Etats-Unis entre les deux guerres.

     

     

    Sur le bateau chaque nuit nous nous pressions dans  le lit les unes des autres et passions des heures à discuter du continent inconnu où nous nous rendions. Les gens là-bas, disait-on, ne se nourrissaient que de viande et leur corps était couvert de poils (nous étions bouddhistes pour la plupart donc nous ne mangions pas de viande et nous n’avions de poil qu’aux endroits appropriés). Les arbres étaient énormes. Les plaines immenses. Les femmes bruyantes et grandes, une bonne tête de plus, avions-nous appris, que les plus grands de nos hommes. Leur langue était dix fois plus compliquée que la nôtre et les coutumes incroyablement étranges. Le contraire du blanc n’était pas le rouge mais le noir. Qu’allions-nous devenir, nous demandions-nous, dans un pays aussi différent ?

     

    Julie OTSUKA  - Certaines n’avaient jamais vu la mer

     

    source : http://poesieenhabit.centerblog.net/317-certaines-n-avaient-jamais-vu-la-mer


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    Le bonheur

     

    S'il n'y avait qu'un mot, ce serait celui-ci.

    Bonheur, ce luxe douloureux, ce beau souci.

    Pendant des siècles et des siècles, les hommes en ont fait l'économie. Ils chassaient seulement la joie ou le plaisir, résignés à n'espérer une satisfaction durable qu'au-delà de cette vallée de larmes appelée la vie. Et puis ils ont commencé à vouloir s'accomplir sur la terre. Alors est née l'idée, alors est né le mot. Bonheur. Un mot très sourd. Le b comme un début de bulle, comme un désir d'envol. Mais la seconde syllabe dure dans le feutré profond, semble épouser l'horizontalité à peine courbe de la planète.

    Bonheur. Beaucoup prétendent n'y pas croire, et le conjuguent seulement au passé inconscient, au futur impossible. Le monde nous envoie sans cesse les pires nouvelles, mais nous ne sommes pas dupes : tout ce pessimisme n'aurait de sens s'il n'y avait la certitude qu'autre chose nous mène, qui dépasse de beaucoup la zénitude, la paix, l'équilibre ou l'harmonie.

    Un quelque chose si discret, presque impossible à dire, et qui trouve pour se nommer un mot si retenu, dont l'écho grave se prolonge à tout jamais. Bonheur.

     

    Philippe DELERME

     

    source : http:///523-le-bonheur


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  • La magie des mots

     

     

    " Les mots ! Les simples mots ! Combien ils sont terribles ! Combien limpides, éclatants ou cruels !  On voudrait leur échapper. Quelle subtile magie est donc en eux ?  ...

    On dirait qu'ils donnent une forme plastique aux choses informes, et qu'ils ont une musique propre à eux-mêmes aussi douce que celle du luth ou du violon !

    Les simples mots !  Est-il quelque chose de plus réel que les mots ?  "

     

    OSCAR WILDE

     

    source : http://poesieenhabit.centerblog.net/575-la-magie-des-mots


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  • Des noms, des verbes ...

     

    Moi, je crois que la grammaire, c'est une voie d'accès à la beauté. Quand on parle, quand on lit ou quand on écrit, on sent bien si on a fait une belle phrase ou si on est en train d'en lire une. On est capable de reconnaître une belle tournure ou un beau style. Mais quand on fait de la grammaire, on a accès à une autre dimension de la beauté de la langue. Faire de la grammaire, c'est la décortiquer, regarder comment elle est faite, la voir toute nue, en quelque sorte.

    Et c'est là que c'est merveilleux : parce qu'on se dit : "Comme c'est bien fait, qu'est-ce que c'est bien fichu !", "Comme c'est solide, ingénieux, riche, subtil !".

    Moi, rien que savoir qu'il y a plusieurs natures de mots et qu'on doit les reconnaître pour en conclure à leurs usages et à leurs compatibilités possibles, çà me transporte. Je trouve qu'il n'y a rien de plus beau, par exemple, que l'idée de base de la langue, qu'il y a des noms et des verbes...

    Quand vous avez ça, vous avez déjà le coeur de tout énoncé. C'est magnifique non ?

    Des noms, des verbes .....

     

    Muriel BARBERY  -    "L'élégance du hérisson"

     

    source : http://poesieenhabit.centerblog.net/rub-16a-extraits-choisis-.html

     


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  • La virgule

     

    Je suis une virgule, et je ne suis pas contente. Tout le monde dit que les virgules ne servent à rien. Je proteste : les virgules servent à respirer. Ce n'est pas rien. Les virgules offrent des pauses, et aussi des poses, écrivez-le comme vous voulez.

    Si vous enlevez les virgules, les phrases seront comme des autoroutes, elles fonceront sans réfléchir. Et moi j'aime bien prendre mon temps. Je trouve que les virgules ressemblent à des oiseaux. Elles sont posées sur les phrases comme des hirondelles. Elles ne font pas autant de bruit que les points d'exclamation. Elles ne se prennent pas au sérieux. Et elles sont plus discrètes que les points d'interrogation. Et quand les virgules rencontrent des points, parfois elles tombent amoureuses.

    Les points croient qu'ils ont toujours raison; un point c'est tout ! Mais avec les virgules, ils s'adoucissent. Ils se mettent à douter, ça donne des points virgules. Les points virgules aussi vont lentement. Ils aiment bien ne pas être oubliés. Ils sont petits, ils ne sont pas très nombreux, et on ne pense pas souvent à eux. Mais ils sont là.

     

    Il y a des gens comme çà. Des enfants, et des adultes aussi. Ils font partie du monde, mais ils ne ressemblent pas à tout le monde. Mais sans eux, il nous manquerait une part d'humanité.

     

    Marie DARRIEUSSECQ -  "La dictée d'ELA"

     

     

    source :  http://poesieenhabit.centerblog.net/rub-16a-extraits-choisis-.html


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