Utilisé relativement à des personnes transgenres, par elles-mêmes ou d’autres, mais aussi, en communication inclusive, pour évoquer des personnes en dehors de toute considération de genre, iel (équivalent de il et/ou elle) a été intégré avec son pluriel iels dans le dictionnaire Robert en ligne.
Cela a donné lieu à une polémique qui a agité notamment les réseaux sociaux, mais aussi le monde politique puisqu’un député (LREM), M. François Jolivet, a adressé un courrier à «Madame le secrétaire perpétuel (sic) de l’Académie française». Ce législateur traduisait une grande méconnaissance du droit comme des pratiques de féminisation (voir cet article de Libération du 19/11/2021 et cet article du blog).
On rappellera ici que Charles Bimbenet, directeur général des éditions Le Robert, a expliqué de manière détaillée sur le site du Robert en ligne les raisons de cet ajout.
Il précise notamment :
Depuis quelques mois, les documentalistes du Robert ont constaté un usage croissant du mot « iel ».La fréquence d’usage d’un mot est étudiée à travers l’analyse statistique de vastes corpus de textes, issus de sources variées. C’est cette veille constante qui nous permet de repérer l’émergence de nouveaux mots, locutions, sens, etc.
Le mot « iel » a été discuté début octobre en comité de rédaction Le Robert, au cours duquel il a été décidé de l’intégrer dans notre dictionnaire en ligne : si son usage est encore relativement faible (ce que nous avons souligné dans l’article en faisant précéder la définition de la marque « rare »), il est en forte croissance depuis quelques mois. De surcroît, le sens du mot « iel » ne se comprend pas à sa seule lecture – dans le jargon des lexicographes, on dit qu’il n’est pas « transparent » –, et il nous est apparu utile de préciser son sens pour celles et ceux qui le croisent, qu’ils souhaitent l’employer ou au contraire… le rejeter.
Est-il utile de rappeler que Le Robert, comme tous les dictionnaires, inclut de nombreux mots porteurs d’idées, présentes ou passées, de tendances sociétales, etc. ? Ce qui ne vaut évidemment pas assentiment ou adhésion au sens véhiculé par ces mots.
La question a émergé bien avant comme le montrent les exemples donnés par le Wiktionnaire. Le 5 février 2021, un article (€) de Pascale Krémer dans Le Monde précisait:
« He/she », « il/elle », « iel » : la transidentité bouscule les façons de se présenter
Les personnes trans indiquent dans leur « bio » sur les réseaux sociaux les pronoms par lesquels elles souhaitent être désignées. Par solidarité, des femmes et des hommes non transgenres adoptent cette innovation langagière.
On renverra également au très documenté fil Tweeter de la linguiste Laelia Véron (21/11/2021) dont le premier message commençait par cette interrogation-aguiche: «Vous reprendrez bien un peu de iel?»
Pour conclure en élargissant la réflexion, je renvoie à cet intéressant papier d’Albin Wagener sur le site TheConversation.com : «“Iel”: itinéraire d’une polémique» (25/11/2021). Je vous laisse méditer sur son paragraphe introductif :
La langue française nous fait-elle perdre la tête ? Comme régulièrement dans l’actualité, les jugements de valeur et les attachements affectifs nourrissent les débats dès que quelque chose bouge dans la langue – une passion très française qui montre les différences de perception sociohistorique et politique des langues en fonction des pays. Ainsi la langue espagnole a déjà connu plusieurs réformes tandis que la langue anglaise voyait le « they » singulier élu mot de la décennie, sans que cela ne déclenche d’excessives passions.
Et de souligner que celles et ceux (je n’ose dire ciels) qui hurlent le plus fort sont de fait des acteurs de sa propagation:
C’est finalement la polémique qui fait monter la fréquence d’occurrences du pronom « iel », lui assurant probablement un avenir certain dans plusieurs dictionnaires.
En la matière, on attendra que l’usage soit fixé, dans un sens ou dans l’autre. Ce ne sera pas la semaine prochaine mais sans doute dans une ou plusieurs décennies.
P. S. — On rappellera que le romancier de science-fiction Ayerdal a publié en 1993 un roman, L’Histrion, dans lequel un sexomorphe au genre changeant se voit attribuer par l’auteur le pronom el, littéraire préfiguration de iel. Une anticipation qu’il n’avait sans doute pas prévue.