• Les Saintes Maries de la Mer

    Auteur : Filloux, H. | Ouvrage : Au cœur de la Provence .

     

    Temps de lecture : 13 minutes  

    Qui sont ces saintes Maries de la Mer que l’on trouve en Provence ?… C’est une histoire très belle, si belle que les vagues caressantes — pour l’écouter, couraient le long du rivage, — à troupeaux.

    À la conquête des âmes

    Ces saintes Maries, ce sont les amies du Christ, ces saintes femmes qui le suivaient, au long des chemins de Palestine, alors qu’il allait, annonçant « la bonne nouvelle ».

    Histoire des Saintes Maries de la Mer pour les jeunesLes Trois Maries : Marie-Jacobé, sœur de la Vierge ; Marie-Salomé, mère de Jacques et Jean, les apôtres au cœur ardent et Marie de Magdalala Madeleine, sœur de Marthe et Lazare, celle que Jésus avait guérie de ses péchés et qui, fidèle, jusqu’au bout l’accompagna de son amour. Avec elles, Marthe, la bonne maîtresse de maison, et Sara, la servante au brun visage.

    Les Juifs, qui avaient fait mourir le Sauveur, fermant au message divin leurs oreilles et leur cœur, maltraitaient ses amis. Ils chassèrent de leur pays les saintes femmes, les jetant dans une barque sans gouvernail, sans voiles ni rames. Ils embarquèrent en même temps Lazare, le ressuscité, Maximin l’évêque et le saint vieillard Trophime, témoins gênants du Christ.

    Sur la mer bleue, qui baigna les pieds de Jésus, au rivage de Palestine, vogue la barque au caprice des flots. Une vague la lance à l’autre vague, comme un jouet. Jours gris sous un ciel tourmenté de nuages, nuits interminables où ne sourit aucune étoile. La tempête fait rage : tantôt au fond d’un gouffre plonge la barque ruisselante d’embruns ; tantôt, comme un fétu de paille, une trombe d’eau la soulève et, transis et tremblants, les pauvres voyageurs lèvent leurs regards suppliants vers le Ciel.

    Les saintes prient, confiantes… tout dre e li man juncho « toutes droites et les mains jointes ». Invisibles, les Anges guident la barque… Vers les côtes de Provence, pour en faire don au beau pays qui sera la France, tout doucement, ils la poussent… Sur le rivage désert, les exilés abordent à la plage de sable fin.

    À genoux, les amis du Christ remercient le Seigneur. Ils baisent cette terre qui les accueille et, pleins de zèle, les voilà qui partent à la conquête des âmes.

    Lazare, dans Marseille, la riche et orgueilleuse cité, porte le message du Christ, ami des pauvres et des humbles et Marseille pleure ses péchés.

    La Sainte Baume

    Où va celle-ci, les yeux baissés sous son voile qui dérobe aux regards l’éclat de sa chevelure d’or, si belle que, pour la voir passer, les vieux pins se font signe.

    Par les landes pierreuses, les vignobles et les olivettes, par delà les montagnettes peuplées de pins odorants, elle va… Longtemps, longtemps elle marche sur les pas d’un guide invisible à nos yeux. C’est Marie-Madeleine, Marie la contemplative, que Dieu appelle dans la solitude…

    La noire montagne des Maures court le long de la mer ; une autre chaîne, plus élevée, par le même chemin, s’en va vers Marseille. Sur la plus haute montagne, Madeleine suit l’appel divin. Et voici que s’ouvre devant elle une vaste forêt qui laisse dans l’étonnement, tant elle est différente des paysages du Midi. Plus de pins ni d’eucalyptus, plus d’orangers ni de chênes-liège, mais de hautes fûtaies de hêtres et de chênes que jamais ne profane la hache du bûcheron. Quel silence, quelle solitude dans ses- profondeurs ! Tout en haut, parmi les rochers sauvages, une grotte béante, comme suspendue au-dessus de l’abîme. Sans hésiter, Marie-Madeleine pénètre dans l’ouverture de rochers. C’est là la demeure que le Seigneur lui a choisie : la sainte Baume 1. 

    Dans la sainte Baume, Madeleine prie. Ses genoux et ses coudes se meurtrissent sur la pierre. Et la lune la veille avec son flambeau pâle. Autour d’elle, la forêt se tait, recueillie, et les petits oiseaux, sur la montagne du Saint-Pilon, soudain ont fait silence. Tout alentour se penchent les Anges. Lorsqu’un pleur de Madeleine tombe sur la pierre, telle une perle précieuse, vite ils le recueillent dans leur calice d’or. Et de ces larmes bénies jaillit la source vive de l’Huveaune qui doucement descend dans la vallée baigner le pied des oliviers.

    Madeleine pleure, prie et contemple… Chaque jour, les mêmes scènes revivent en son esprit, tandis qu’elle repasse dans son cœur les paroles divines que le Maître prononça pour elle seule et que l’Évangile garde comme un trésor.

    Vie de Sainte Madeleine pour les enfants

    Elle se revoit, jeune et belle, courant au plaisir, parant son front de couronnes fleuries, tandis que de son âme souillée se détournent les Anges. Elle sent encore, posé sur elle, le regard du Maître qui, pénétrant jusqu’au fond de son être, comme un trait de feu, lui dévoile tout d’un coup l’abîme de sa misère. Tandis qu’elle baigne les pieds du Seigneur de ses larmes et de ses parfums, elle entend la voix grave et suave : « Beaucoup de péchés lui sont pardonnés… »

    Les trois années lumineuses à la suite du Maître… La soirée de Béthanie, Marthe, s’empressant, affairée, aux soins du ménage ; elle, assise aux pieds du Seigneur, buvant ses paroles. La plainte de cette pauvre Marthe, toujours soucieuse : « Dites-lui donc de m’aider. » Et la parole du Maître, qu’elle croit entendre encore : « Marie a choisi la meilleure part… »

    La seconde scène du parfum, le vase brisé, les murmures des apôtres — qui n’ont pas compris — et le reproche si doux du Sauveur : « Pourquoi faites-vous de la peine à cette femme ? »

    La douloureuse journée après la terrible nuit de la trahison, le calvaire, les clous, la croix, les injures des prêtres et du peuple aveuglé, les brutalités des soldats romains… Le cri terrible du Crucifié, le coup de lance du Centurion… Marie entend, Marie voit tout cela dans sa contemplation. Et ce matin radieux de la Résurrection… Sa peine, son angoisse devant le Tombeau vide, sa recherche anxieuse et tout à coup, la voix qui la bouleverse : Marie. Ce matin de Pâques, où elle, pécheresse, la première voit de ses yeux le Christ ressuscité.

    Ravie de joie et d’amour, Madeleine, portée par les Anges au sommet du Saint-Pilon, goûte les harmonies célestes et voit s’ouvrir le Paradis.Mais chaque jour, dans la grotte obscure, se meurtrissent ses genoux et coulent, intarissables, ses larmes.

    Mais voici qu’elle entend l’appel du Seigneur. Elle va quitter la terre. Les Anges la transportent à l’oratoire de l’évêque Maximin qui lui donne le pain eucharistique. Dans un paisible sommeil, l’âme de Madeleine purifiée quitte la frêle enveloppe de son corps.

    Ce corps vénéré, Maximin le couche dans un cercueil d’albâtre. De siècle en siècle il est parvenu jusqu’à nous. L’église de Saint-Maximin, achevée par le roi René, précieusement le garde dans sa crypte où vinrent s’agenouiller, au fil de l’histoire, les papes et les rois : Louis XII, Charles VIII, Anne de Bretagne, François Ier, Louis XIII et le grand Louis XIV, tous humbles pèlerins de la Sainte-Baume. Tandis que, dans la grotte bénie, témoin d’un si profond repentir et d’un si merveilleux amour, d’autres pèlerins cherchent les traces de Madeleine et, dans le silence, sont à l’écoute des secrets divins.

      lire encore plus : https://www.maintenantunehistoire.fr/les-saintes-maries-de-la-mer/

    votre commentaire
  • Chêne de l’Évangile à Chanteau (Loiret)
    (D’après « Légendes de l’Orléanais », paru en 1846)
     
     
    Qui connaît le Chêne de l’Évangile, planté à Chanteau — modeste commune du Loiret située à proximité du riche monastère de Notre-Dame-d’Ambert fondé au XIIe siècle — par trois frères en vue d’assurer à leur mère des moments de confortable lecture sous son ombre, et au pied duquel ils jurèrent de se réconcilier, après la disparition de celle-ci, chaque fois qu’ils viendraient à se quereller ?

    La commune de Chanteau, située au milieu de la forêt d’Orléans, ne comptait au milieu du XIXe siècle qu’environ 350 habitants. Les débris de tuiles et de briques que la charrue ramenait au-dessus du sol en divers endroits, faisaient présumer que cette paroisse était plus populeuse autrefois qu’elle ne l’était alors, et celte présomption se change en certitude à la lecture des anciens litres de propriété.

    Chanteau aurait partagé ces vicissitudes avec toutes les localités riveraines de la forêt, au secours desquelles l’industrie et l’amélioration des voies vicinales ne seraient pas accourues. Les privilèges concédés par les rois, les princes apanagistes et les tréfonciers — on appelait ainsi le seigneur et le propriétaire du fonds d’un bois soumis à la gruerie, droit de moitié que le roi prenait dans certaines forêts. On nommait aussi tréfoncier le propriétaire d’un héritage, pour le distinguer de celui qui n’en était que l’usufruitier —, furent, croyons-nous, les causes de ces agglomérations d’hommes auprès des bois.

    En effet, les habitants durent affluer aux lieux qui fournissaient le pacage — droit accordé aux habitants de faire paître leurs bestiaux, en des temps et des lieux désignés, dans les bois appartenant au roi, aux apanagistes ou à des particuliers. Les usagers du pacage pouvaient aussi cueillir l’herbe qui croissait dans les forêts — et le panage — également appelé glandée, droit que les habitants avaient de faire manger aux porcs les glands et faines des forêts, et qui s’exerçait toute l’année, excepté le mois de mai — pour leurs bestiaux et pour eux-mêmes, l’usage du bois mort et du mort-bois — on appela ainsi originellement les bois qui ne portaient pas de fruit, puis on désigna par ce nom les neuf espèces réputées non forestières, à savoir : saules, marsaules, épine, puines, seur ou sureaux, aulnes, genêts, genièvres, ronces. A ces neuf espèces, on ajouta plus tard le coudre sauvage, le fusain, le sanguin, le troène et le houx.

    Mais à mesure que ces privilèges étaient restreints, puis supprimés, hommes et bêtes délaissaient les lieux où ils ne se trouvaient plus les mêmes moyens d’existence. Chanteau possédait, dans son voisinage, une autre source de prospérité ; nous voulons parler de Notre-Dame-d’Ambert, monastère riche et peuplé de nombreux religieux. C’est le roi Louis le Gros qui, en 1134, fonda à Ambert un prieuré où il plaça des religieux de l’ordre de Saint-Victor de Paris ; puis, en 1198, Philippe-Auguste leur donna la chapelle de Chanteau. Ils occupèrent ainsi les deux prieurés jusqu’en 1300. A cette époque, Philippe le Bel fit venir d’Italie douze Célestins auxquels le roi fit don des prieurés d’Ambert et de Chanteau.

    Au commencement du XVe siècle, temps où Ambert et Chanteau florissaient, on voyait, à l’extrémité nord de la rue de la Bouverie, s’élever une maison, derrière laquelle s’étendait un jardin séparé de la forêt par le grand chemin d’Orléans à Rebrechien. Cette maison était habitée par une mère et ses trois fils. Le père, attaché dès son enfance au service du monastère, avait su mériter l’amitié du prieur, qui lui avait appris à lire et à écrire. Peut-être le projet du religieux était-il d’attacher Pierre au couvent, en qualité de frère lai ; mais Pierre voulut se marier.

    Alors, le monastère lui donna la maison dont nous avons parlé et trois arpents de dépendances, pour en jouir, lui et ses descendants, pendant 199 ans, à la charge de payer 16 sols parisis de rente et 18 deniers de cens, plus la dîme du grain, de deux gerbes par arpent, et celle du vin, d’une jalaye par tonneau — dans le vignoble situé autour d’Orléans, la jalaye équivalait à seize pintes.

    L'abbaye dans un bois de chênes, par Caspar David Friedrich
    L’abbaye dans un bois de chênes, par Caspar David Friedrich (1809-1810)

    Après quelques années de mariage, Pierre mourut, laissant à sa veuve et à ses enfants, l’héritage que lui avait donné le couvent, et un livre des Évangiles qu’il tenait de l’amitié du prieur. Jacqueline, ainsi se nommait la veuve, savait que dans le malheur la véritable consolation n’est qu’en Dieu. Elle s’adressa donc à celui qui n’abandonne jamais l’affligé, et le courage lui revint. Elle en avait grand besoin, la pauvre femme, pour nourrir et élever ses enfants.

    Parfois le découragement la prenait ; elle se retirait alors au fond de son jardin, et là, assise sur un petit tertre de gazon, elle puisait la résignation dans le livre des Évangiles. Les enfants voyaient-ils leur mère ainsi occupée, ils s’approchaient d’elle doucement et lui disaient : « Mère, raconte-nous donc une des belles histoires de ton livre » ; et Jacqueline lisait quelques-uns des traits de la vie de Jésus-Christ. C’était le paralytique ou l’aveugle-né, lesquels n’avaient dû leur guérison qu’à leur foi ; c’était l’enfant prodigue qui nous révèle l’inépuisable miséricorde de Dieu ; ou bien encore le bon Samaritain.

    Un jour Jacqueline racontait la prédilection de Jésus pour l’enfance : « On lui présenta de petits enfants, afin qu’il leur imposât les mains et qu’il priât, et les disciples les repoussaient. Jésus leur dit : Laissez ces enfants et ne les empêchez pas de venir à moi, car le royaume du ciel est pour ceux qui leur ressemblent. » À ce moment, un nuage tout noir vint à passer, et versa une pluie abondante sur la petite famille. Elle s’empressa de gagner la maison.

    « — Quel dommage, dit le cadet, que nous n’ayons pas là-bas un de ces beaux chênes qui croissent dans la forêt ! La mère ne craindrait plus le soleil ni la pluie, et elle pourrait lire dans son beau livre autant qu’elle le voudrait.
    — Mes enfants, reprit Jacqueline, vous pouvez en planter un.
    — La mère a raison ; je le planterai, dit l’aîné.
    — Non, non, ce sera moi, reprit le cadet.
    — Pas du tout, ajouta le troisième, ce sera le petit Étienne. »

    Et chacun de vouloir remporter. La mère intervint encore.

    « — Des frères qui s’aiment bien doivent tout faire en commun ; ainsi, Pierre ira chercher un beau plant ; Guillaume fera un trou, dans lequel vous placerez le chêne à vous trois, et Etienne recouvrira de terre les racines.
    — C’est cela, dirent les enfants en sautant et en frappant des mains, oh ! comme notre chêne sera beau. »

    La chose fut faite ainsi que l’avait ordonné Jacqueline, et tous les jours, il fallait voir les trois frères mesurer leur arbre !

    « — Mère, disaient-ils souvent, notre chêne ne grandit pas ?
    — Patience, enfants, rappelez-vous le grain de Senevé de l’Évangile : « Ce grain est à la vérité, la plus petite de toutes les semences ; mais quand il a poussé, il est plus grand que tous les autres légumes, et il devient un arbre, en sorte que les oiseaux du ciel viennent et habitent dans ses branches. » Cultivez votre chêne et reposez-vous sur Dieu du soin de le faire croître.
    — Il ne nous reste plus, fit observer Guillaume, qu’à donner un nom à notre arbre. »

    Pierre et Etienne applaudirent à cette idée ; mais la difficulté était de s’accorder. Pierre voulait l’appeler le chêne des bons enfants ; Guillaume, l’arbre des trois frères ; Etienne, le chêne de la bonne mère. Enfin, pour sortir d’embarras, ils s’adressèrent à Jacqueline. Celle-ci trouva les trois dénominations très jolies ; mais elle pensa que celle de Chêne de l’Évangile conviendrait peut-être mieux. « Oh ! c’est vrai, s’écrièrent les enfants, nous eussions dû y songer. »

    Cependant l’arbre poussait, les trois frères grandissaient aussi, et Jacqueline devenait vieille. Bientôt elle tomba malade et sentit sa fin approcher. Un matin, c’était le jour des saints Anges-Gardiens — fête célébrée autrefois le 1er mars. Clément X, qui mourut en 1676, après avoir tenu le siège apostolique pendant six ans et trois mois, la fixa au 2 octobre —, elle voulut que ses enfants la portassent au pied du chêne.

    « — Mère, lui dirent-ils, l’air est piquant et il a gelé la nuit dernière ; il fait trop dur pour toi dehors.
    — Non, non, portez moi sous le chêne. »

    Ils obéirent. Lorsque Jacqueline fut placée :

    « — Mes enfants, dit-elle, j’ai voulu venir ici pour vous faire mes adieux ; car je sens que je mourrai bientôt. Vous m’avez toujours aimée ; et pourtant il vous est arrivé de vous quereller quelquefois. J’ai réussi, il est vrai, à ramener l’amitié entre vous ; mais quand je n’existerai plus, qui pourra me remplacer ?
    — Mère, nous nous aimerons toujours.
    — Oui, oui, je l’espère ; mais pour que je meure sans inquiétude, jurez, sur ce livre, que si la discorde naît parmi vous, vous viendrez vous réconcilier au pied de cet arbre que vous avez planté. »

    Les trois frères placèrent leurs mains sur l’Évangile que Jacqueline tenait sur ses genoux, et dirent : « Mère, nous le jurons. — Bien, mes enfants, embrassez-moi ; maintenant je mourrai contente. » Le lendemain Jacqueline cessa de vivre, et ses enfants la pleurèrent pendant longtemps. Les trois frères se marièrent. Pierre, l’aîné, garda la maison ; Guillaume et Etienne se fixèrent dans le champ aux Nonains ; le premier, à la Louvetière, et le dernier à Aulaine.

    Durant la semaine, chacun se livrait à ses travaux ; mais le dimanche venu, les trois familles se réunissaient, à l’issue de la messe, et prenaient ensemble le chemin de l’habitation de Pierre, où elles passaient le reste de la journée. Quelques instants avant de se séparer, hommes, femmes et enfants se groupaient autour du chêne et écoutaient, avec respect, un passage de l’Ecriture-Sainte. A la suite de cette lecture, les querelles de ménage, les petites divisions intérieures étaient exposées et la paix se faisait. Tous se retiraient contents.

    Il était pourtant des occasions où l’on n’attendait pas le dimanche pour se rendre au pied de l’arbre ; c’était lorsque deux des chefs de famille avaient eu une altercation. Ainsi, un jour, Pierre dînait, quand le petit Jehan accourt lui dire : « Oncle, maman vous prie de venir à la Louvetière tout de suite. » Pierre suivit l’enfant. Arrivé chez sa belle-sœur, celle-ci lui apprit que Guillaume et Etienne s’étaient querellés le matin, au sujet de la basse-cour d’Ambert, que chacun voulait prendre à ferme, et qu’ils s’étaient quittés en se faisant des menaces. Pierre alla aussitôt les trouver l’un après l’autre, et leur dit : « Frères, ce soir, après le coucher du soleil, la mère nous attend sous le chêne. »

    Guillaume et Etienne se rendirent à cette sommation, et Pierre leur demanda s’ils ne s’étaient pas querellés dans la matinée. « Il est vrai, répondit Guillaume ; mais c’est la faute d’Etienne, qui veut se faire donner la ferme de la Basse-Cour, lorsqu’il sait que messire le procureur me l’a promise. — Et moi, répliqua Etienne, j’ai la parole de monseigneur le prieur. » Après avoir réfléchi, Pierre leur dit : « Toi, Guillaume, tu n’as que des filles ; et tes garçons, Etienne, sont encore enfants. Vous ne pouvez donc, ni l’un ni l’autre, exploiter une métairie, sans vous faire aider par des étrangers. Eh bien ! réunissez-vous, joignez vos quatre bras ensemble, et tout n’en ira que mieux. »

    Maison forestière dite du Chêne de l'Évangile
    Maison forestière dite du Chêne de l’Évangile, construite au XIXe siècle

    Guillaume et Etienne avouèrent que leur frère avait raison, et tous trois, s’étant embrassés, levèrent les yeux vers la cime du chêne, en disant : « Mère, tes enfants ne t’ont pas oubliée. » Quelques jours après, le bail de la métairie d’Ambert était passé au nom des deux frères.

    Pierre, Guillaume et Etienne moururent ; mais leur vénération pour le Chêne de l’Évangile avait passé dans l’âme de leurs enfants. Ceux-ci transmirent ce respect à leurs descendants, et c’est ainsi que par la voie de la tradition, cette légende nous est parvenue. La maison de l’Évangile a été détruite vers 1810. Treize ans après, le chêne qui étendait ses branches au-dessus de l’ancien jardin, devenu un vague, vulgairement appelé Placeau, fut compris dans une vente de bois et abattu. Quinze ans s’écoulèrent ensuite, pendant lesquels le souvenir de l’arbre allait s’affaiblissant.

    Enfin, l’administration des forêts de la Couronne fit construire, en 1839, une habitation pour deux gardes et un pied-à-terre pour ses officiers. Cette construction simple et d’un très bon goût, fut élevée non loin de l’ancienne maison de l’Évangile, de l’autre côté de la route, qui conduit d’Orléans à Rebrechien, et à l’angle de celle qui va à Neuville.

    L’édifice terminé, on défricha une partie du bois qui l’entourait, pour en faire un jardin. Dans ce bois, tout auprès de la route, et vis-à-vis de la place que le Chêne de l’Évangile avait occupée, se trouvait un chêne bien fait et vigoureux ; l’inspecteur des forêts le conserva, afin de perpétuer le souvenir de l’ancien. Le même motif fit donner à l’habitation des gardes le nom de l’Évangile.

     

    source : https://www.france-pittoresque.com/spip.php?article12406


    votre commentaire
  •  

    Trouvé sur france-pittoresque.com

    Chêne Saint-Joseph à Villedieu la Blouère (Maine-et-Loire)

     
     
    Chênes célèbres (Les)
    (D’après « Musée universel », paru en 1877)
     
     
     
     
    Emblème de la force, le chêne a toujours régné en maître dans les forêts, et l’imagination des peuples s’est complu à attribuer à cet arbre-roi de secrètes vertus et une mystérieuse puissance...

    Aussi de quel respect, de quelles sollicitudes ne fut-il point entouré ! En Grèce les chênes étaient gardés par des nymphes qui établissaient domicile sous l’écorce ; elles n’abandonnaient l’arbre qu’après sa mort. Jupiter lui-même, dit-on, n’avait point dédaigné de faire du chêne son emblème : c’est pour cela que les chênes de la forêt de Dodone, en Epire, rendaient des oracles.

    Ne parlons point des Gaulois, qui eurent pour le chêne un culte pieux, au grand mécontentement de l’Eglise qui lança, à diverses reprises, des mandements furieux contre cette superstition. Ne nous arrêtons point non plus à l’Allemagne qui protégea les chênes par des peines si atroces qu’on a peine à y croire. Quiconque coupait un chêne et se laissait prendre en flagrant délit, subissait une espèce de talion, car on lui coupait la tête sur la souche, où elle devait rester jusqu’à ce qu’il se formât de nouvelles tiges. Celui qui enlevait l’écorce à un chêne portant fruit, si on pouvait le prendre sur le fait, la loi autorisait à lui ouvrir le ventre, et après lui avoir tiré hors du corps l’intestin, dont on attachait l’extrémité sur la plaie, on lui faisait faire le tour de l’arbre jusqu’à ce que la place écorchée fût entièrement recouverte..

     

    On voit encore dans la forêt de Saint-Germain des chênes auxquels sont attachés des rubans, des fleurs, des statuettes, des couronnes, quelquefois même des flambeaux et de pieuses invocations. En allant aux Loges on rencontre sur la lisière de la forêt, le chêne de Sainte-Geneviève. On cite en outre le chêne de la Vierge, le chêne des Anglais, le chêne de Sainte-Anne, le chêne de Sainte-Barbe, les chênes de Saint-Joseph et de Saint-Fiacre. Leurs légendes seraient difficiles à établir, car ces arbres n’ont pas un grand âge ; mais ils ont remplacé d’autres arbres plus anciens, et comme ils ont la même forme, comme le lierre est remonté à sa place, les traditions se perpétuent. C’est ainsi que ces arbres touchent aux temps païens par le côté même qui semble les en éloigner.

    En Bretagne, les bûcherons appellent encore leurs beaux arbres, les arbres de Dieu ; dans la Mayenne, le grand chêne du carrefour est un des plus célèbres monuments de la dévotion populaire. En Seine-Maritime, le chêne d’Allouville est enfoui sous des ex-voto. Son énorme tronc est une chapelle ; au-dessus de ce sanctuaire creusé dans ce que le druidisme avait de plus saint, se trouve une cellule qu’un ermite habiterait, et le tout est surmonté d’un clocher et d’une croix. Au lieu d’être des exceptions, les chênes privilégiés de la forêt de Saint-Germain ne sont que des passages d’une longue histoire.

    Voyons maintenant ce que deviennent et à quel sort ont été voués les chênes illustrés par de grands événements, par leurs hauts faits ou par leur caractère. Le fameux chêne d’Autrage, dans l’arrondissement de Belfort, près duquel se rassemblaient autrefois les Partisans, a été abattu en 1858, vendu aux enchères 400 francs, et revendu 600 francs. Vanités de la gloire ! On faisait remonter son origine aux temps druidiques. Il avait 5 mètres de diamètre, et plus de 14 mètres de circonférence à sa base. Une des grosses branches avait 5 mètres de circonférence, une autre 3 mètres 50. Les menues branches ont donné 40 stères de bois façonné, et la bille promettait 126 stères de bois marchand. La cavité du tronc était de 2 mètres environ.

    En parcourant la route de Saragosse à Madrid, on voit à 4 kilomètres d’éloignement un chêne vert qui élève sa tête énorme au milieu d’un plant d’oliviers ; il faut, dit-on, quatorze hommes se tenant par la main pour l’embrasser.

    Le chêne d’Allouville, dans l’arrondissement d’Yvetot, auquel des historiens et des naturalistes donnent huit à -neuf siècles de durée, existe toujours. Son tronc n’est qu’un tube creusé par les ans ; il n’en reste que l’écorce, et cependant il se couvre chaque année de feuillage et de glands. Depuis 1696 une chapelle est établie dans l’intérieur de cet arbre.

    Les assemblées de la Biscaye se tenaient sous un chêne qui s’élève près de la petite ville de Guernica, à 28 kilomètres à l’est de Bilbao. C’est le plus vénéré des monuments naturels de la Péninsule, et les républicains de la Convention, lorsqu’ils pénétrèrent jusque dans la Biscaye, le saluèrent avec admiration et respect en lui rendant les honneurs militaires, et l’appelant le père des arbres de la liberté. Le chêne actuel est un arbre corpulent, descendant direct du chêne primitif, car on conserve toujours à côté de l’arbre un ou deux rejetons destinés à le remplacer quand l’âge l’aura fait succomber.

    Le dernier, tombé de vieillesse le 2 février 1811, existait, d’après la tradition, depuis le milieu du quatorzième siècle. C’était sous son ombre que les rois catholiques, Ferdinand et Isabelle, assis sur le banc de bois qui en entourait le tronc, avaient juré de maintenir les fueros basques. Dans les temps anciens, cinq hérauts montaient dans, les branches du chêne, et sonnant de leurs trompes, convoquaient les Biscayens à la calzarsa ou assemblée générale. Les délibérations eurent lieu d’abord sur ce banc de bois ; puis la population étant devenue plus grande et ses délégués plus nombreux, on abandonna peu à peu la coutume patriarcale, et les assemblées se firent dans l’ermitage de Nuestra Senora de la Ansigna, très ancien sanctuaire, situé tout auprès du chêne. Aujourd’hui il s’est élevé à côté de l’ermitage un vaste édifice. Le vieux chêne est loin d’être abandonné ; un trône magnifique se dresse sous l’arbre vénéré. L’arbre et le trône sont entourés d’une grille de fer.

    Chêne d'Allouville-Bellefosse (Seine-Maritime)
    Chêne d’Allouville-Bellefosse (Seine-Maritime)

    Il y a plus d’un chêne célèbre en Grande-Bretagne. On sait que Charles II, après la bataille de Worcester, ne dut son salut qu’à la vitesse de son cheval, et qu’ayant atteint Boscobel-Grové, en Shropshire, il se réfugia dans l’épais feuillage d’un vieux chêne énorme, qu’on appela depuis chêne du roi Charles. Les hommes qui poursuivaient le prince choisirent précisément l’ombrage de ce chêne pour y bivouaquer, tandis que le malheureux Charles y était encore caché.

    Quant au Fairlop Oak, le chêne de la forêt de Hainault en Essex, c’était le rendez-vous de chasse de nombreux monarques, et sous le feuillage de cet arbre vénérable il se tient encore une très belle foire annuelle.

    En fait d’autres chênes fameux, on comptait le chêne de Herne le Chasseur, qui s’élevait près Elisabeth’s Walk, dans Horne Park, au fond de la forêt de Windsor. Les restes de cet arbre ont été abattus en 1863. Une partie du tronc était tombée vingt ans auparavant, et on l’a conservée soigneusement depuis au château royal de Windsor. Pour préserver les restes de cet arbre, on les avait entourés de pieux, à l’un desquels était placée l’inscription suivante, tirée des Joyeuses commères de Windsor, de Shakespeare, et gravée sur une plaque de cuivre :

    C’est une vieille histoire que Herne le Chasseur,
    Autrefois l’un des gardes de la forêt de Windsor,
    Pendant tout le temps de l’hiver, et toujours à minuit
    Se promène autour d’un chêne.

    Une légende se rattachait à cet arbre. Herne avait été garde-chasse durant la seconde partie du règne d’Elisabeth, Ayant commis un méfait par suite duquel il perdit son emploi, il se pendit à ce chêne. Depuis ce temps, on dit que l’ombre de Herne revient chaque nuit. Toutes les horreurs de cette légende ont été retracées dans un roman d’Harrisson Ainsworth qui a pour titre le Château de Windsor. Un plan de la ville et du château de Windsor, publié à Eton, en 1742, indique l’arbre et lui donne le nom de chêne de Falstaff.

     

    source : https://www.france-pittoresque.com/spip.php?article8018

     


    votre commentaire
  • Top 10 des meilleures légendes bretonnes, celles à raconter au coin du feu

     

    Tri martolod, Nolwenn, les crêpes, le beurre salé, tout ça, oui on est en Bretagne, là où il pleut que sur les cons et où on n’a Quimper et une mer (cf. les blagues sur les Bretons TMTC). Voilà. Et chez les Bretons y’a un truc vraiment cool, c’est qu’ils ont plein de légendes qui défoncent, des trucs à se raconter au bord du feu, sur la plage, à base de marins et de fées. Petit tour de nos préférées.

     

    1. Ys, la ville engloutie

    Le roi Gradlon, un guerrier assez vénère, a eu une fille nommée Dahut avec une sorte de divinité reine du Nord. C’est à la demande de sa fille qu’il fait construire une ville située en dessous du niveau de la mer et protégée par des grandes digues. Dans Ys, tout le monde est super heureux et très bien protégé face à tous les dangers extérieurs. Sauf que Dahut, qui était un peu chaude du cul, a foutu la merde. Tous les soirs elle invitait un homme à faire zig-zig et elle lui mettait un masque sur le visage. Masque qui, au matin, explosait le crâne des mecs avec des lames en métal. Pas cool. Mais un jour, un prince étranger arrive et Dahut tombe amoureuse. Elle décide de ne pas lui faire enfiler le masque et va même jusqu’à lui donner les clefs de la ville. Idée à la con puisque le prince n’était autre que le diable venu punir la princesse de ses pêchés. Donc ni une ni deux, le mec ouvre en grand la porte de la ville qui se retrouve engloutie. Aucun respect pour les autres habitants qui n’avaient rien demandé, on peut le noter.

    Crédits photo (CC BY-SA 3.0) : JERRYE AND ROY KLOTZ MD

    2. Azénorlire 

    Azénor était l’épouse d’un comte. Elle avait une belle-mère (la nouvelle meuf de son père quoi) qui était une vraie connasse et qui n’a pas hésité à faire croire au comte qu’Azénor l’avait trompé. Pas méga content, le monsieur décide d’appliquer la peine prévue dans ce cas : brûler sa femme. Sauf que ce jour-là, pour des raisons mystérieuses, impossible d’allumer un feu. Deuxième option, foutre Azénor dans un tonneau et la balancer en pleine mer. Là ça marche, mais un ange veille sur la fille et la protège jusqu’à ce qu’elle arrive saine et sauve en Irlande. Là-bas elle accouche d’un gosse, devient lavandière et fait sa vie. Des années plus tard, la belle-mère qui a quand même un petit remord avoue au comte qu’elle lui a peut-être raconté des conneries. Alors il se motive et part à la recherche de sa femme, qu’il finit par retrouver en tombant sur son gosse qui était un peu son portrait craché. Les trois rentrent à la maison, heureux. Non, en effet, il n’y a aucune morale dans cette histoire.

    Crédits photo (CC BY-SA 4.0) : Pierre-Yves Paranthoën

    3. Ankou

    Les Bretons n’ont pas peur de la mort, mais ils ont peur d’Ankou, le serviteur de l’au-delà qui se balade avec une charrette qui grince pour conduire les âmes des morts vers leur destination. En gros, si tu entends les grincements se rapprocher de toi, ça sent pas très bon. Un autre truc marrant, c’est la nuit de Noël en Bretagne. On dit que si, au cours du repas, tu sens la cape d’Ankou te frôler les jambes sous la table, tu passeras pas l’année. Joyeux Noël.

    Crédits photo (CC BY-SA 3.0) : Manfred Escherig

     

     

    lire les sept autres légendes en cliquant sur : https://www.topito.com/top-meilleures-legendes-bretonnes-druides-graal

     
     

    votre commentaire
  • Trouvé sur france-pittoresque.com

    Anchoine (La légende d’)
    (Charente-Maritime)
    (Extrait de « Devant Cordouan. Royan et la presqu’île d’Arvert », paru en 1934)

     

    Alors qu’Oléron tenait encore au continent par une large bande de rochers, allant d’Ors à la pointe du Chapus, la Seudre se déversait dans une baie dont les eaux calmes baignaient l’île d’Armotte. L’aspect de la côte saintongeaise, à cette époque lointaine, était bien différent de celui qu’elle présente aujourd’hui

    La « baie d’Anchoine » — ainsi s’appelait le rivage qui est devenu le pertuis de Maumusson — était un vaste lac, communiquant vers l’ouest avec l’Océan. Ce n’est que beaucoup plus tard, quand furent emportés les rochers du Chapus par les courants, que le passage de Maumusson s’élargit, que l’île d’Arvert, ou d’Allevert, se forma au sud de celle d’Armotte disparue.

    Pertuis de Maumusson
    Pertuis de Maumusson

    Quand les peuples d’Orient envahirent la Gaule, plusieurs tribus descendirent le cours de la Garonne jusqu’à l’Océan. Ce sont des Phéniciens qui, voyant une baie profonde, à l’abri d’un promontoire, firent voile vers l’île d’Armotte. On sait qu’ils étaient des navigateurs hardis, les véritables princes des mers. En abordant sur le littoral, en entrant dans un golfe que les marées ne paraissaient pas agiter, ils comprirent que c’était là un point propice aux trafics maritimes. L’île d’Armotte était presque entièrement couverte de bois, ne présentant aucune difficulté d’approche, son sol paraissait fertile, il serait aisé de créer, sur cette terre isolée, un petit port de pêche et d’y vivre en toute tranquillité. La tribu en prit possession et, après quelques années, une ville modeste y était construite qui s’appela successivement, Sanchoniate, du nom du chef de la tribu, puis, Anchoniate, Anchoine.

    L’île d’Armotte se peupla peu à peu, mais, après deux siècles d’occupation, les Phéniciens en furent chassés par les peuples migrateurs qui se ruaient sur l’Occident. Anchoine vit venir des Celtes, des Ibères, sans que son importance maritime eût trop à en souffrir. Le pays était salubre, les pêcheries productives, il n’en fallait pas davantage pour retenir les nouveaux venus. Plusieurs tribus celtiques prirent possession des îles de la rive gauche de la Seudre, cependant que les Ibères traversaient la mer pour se diriger vers les Pyrénées. Une immense forêt couvrait le plateau séparant le cours de la Seudre des eaux du golfe. Cette forêt, qui existait encore au Moyen Age sous le nom de forêt de Satiste, se continuait sur le territoire d’Armotte. A la pointe ouest de cette île, Anchoine abritait des familles gauloises, jalouses de leurs traditions, de leurs croyances, de leurs mœurs. Ce sont elles qu’on trouve à la base de l’arbre généalogique des Santons.

    Les druides, les prêtresses, entretenaient chez les Santons le fanatisme et les superstitions. Ils développaient en eux les sentiments de vie libre et d’attachement à la terre natale, pour lesquels ils devaient lutter pendant des siècles. Conserver leur indépendance, s’insurger contre toute oppression, s’opposer par la force brutale des armes à l’affaiblissement de leur petite patrie, les ont portés, dès la plus haute Antiquité, à des actes de désespoir. La conquête des Gaules par César jeta le plus grand trouble parmi les peuples santons. A mesure que s’avançaient vers l’ouest les légions romaines, tout le pays de Saintonge tressaillit d’épouvante et s’affola. Les hommes, les femmes, eurent le pressentiment qu’une calamité publique les menaçait. Eux, qui ne connaissaient pas la peur, frémirent, non de crainte, mais d’indignation.

    Dans l’ancienne Gaule, chaque peuplade avait sa « fada », sorte de sorcière à laquelle tout le monde accordait une confiance aveugle. On voyait en elle une fée sacrée, envoyée sur la terre par le dieu Teutatès. Elle participait aux cérémonies religieuses des druides, à la tête des prêtresses. Myrghèle, la fada des Santons, s’était retirée dans l’île d’Armotte à l’approche des soldats de César, et se cachait à Anchoine, où elle jetait des sorts et mettait le trouble dans les esprits. Une secte de druides et de druidesses s’y trouvait déjà depuis longtemps. Dans la partie la plus sauvage de l’île, sous les grands chênes, dont les feuilles se mêlaient aux boules blanches du gui, existait un cercle de hautes pierres levées entourant un dolmen. C’est là que se célébrait, de temps immémorial, le culte païen des Gaulois.

    Ce dolmen, masse de pierre informe, bloc monstrueux élevé, à hauteur d’homme, sur quatre piliers de pierres frustes, avait quelque chose de sinistre. Au milieu de la table apparaissait un trou rond, et assez large pour permettre de voir un coin du ciel. C’est par ce trou que s’écoulait le sang des victimes quand se faisaient les sacrifices humains.

    L’île d’Armotte, presque inconnue dans l’intérieur des terres, devait, avant de disparaître, être témoin des horreurs barbares du paganisme. Ses habitants, quelques centaines, s’adonnant à la pêche, à la chasse, à la culture des céréales, vivant dans le calme et la solitude devant une mer apaisée, abrités par une épaisse forêt, voulurent, avant de préparer la résistance contre l’envahisseur qui s’approchait, consulter leurs prêtres, leur demander aide et protection. Druides et druidesses jugèrent que c’est à la fada qu’il fallait s’adresser.

    Myrghèle, cachée dans sa petite cabane d’Anchoine, était amoureuse. Celui qu’elle aimait restait insensible à ses avances et lui avoua qu’il s’était fiancé à Sylvane, la fille d’un pêcheur, dont l’amour était égal au sien. Ils devaient s’épouser bientôt. La fada voua, dès lors, à Sylvane, une haine farouche en se jurant d’empêcher le mariage. Comment ? Elle ne savait pas encore. C’est à ce moment que se tint une assemblée de druides dans la clairière du dolmen pour répondre au désir des habitants de l’île. Myrghèle était au milieu d’eux, enveloppée dans une cape gauloise d’une blancheur éclatante. Neuf druidesses, toutes vêtues de blanc, l’entouraient. Rangés en cercle, le front couronné de gui, tenant à la main une faucille d’or, les prêtres attendaient religieusement la décision de la fada sacrée. L’expression sévère de sa physionomie, la fixité de son regard d’hallucinée, la hardiesse de sa parole, allaient produire sur l’assistance une véritable fascination.

    C’était le soir. Les dernières lueurs du crépuscule s’éteignaient sur la mer, la lune montait lentement dans le ciel. Il y avait quelque chose de si étrange, de si impressionnant dans ce groupe de robes blanches, immobiles sous les chênes, qu’on pouvait croire que c’étaient les ombres de la nuit, vêtues en fantômes, qui se trouvaient à un rendez-vous mystérieux dans ce coin de forêt sauvage. Montée sur une pierre grossière, près du dolmen, dominant l’assemblée, les cheveux en désordre, sa cape tombée à ses pieds, la poitrine demi-nue, Myrghèle clamait avec exaltation l’oracle des dieux. Un rayon de lune, filtrant à travers les branches, éclairait son visage transfiguré, donnait à cette femme l’aspect d’un spectre hideux.

    Les grottes de Meschers
    Les grottes de Meschers

    « Ecoutez, criait l’ignoble sorcière, écoutez la voix de Teutatès qui vibre en moi. Je suis l’envoyée des dieux pour vous guider, pour vous sauver à l’heure du danger. Redressez-vous, prêtres qui m’écoutez, allez dire au peuple que Teutatès ne l’abandonnera pas, mais qu’il exige du sang, du sang pur de vierge ! Allez, et amenez ici la plus belle des vierges de l’île d’Armotte. Vous la connaissez, c’est Sylvane. Le Maître nous écoute, il faut que cette nuit même elle soit immolée sur l’autel sacré des ancêtres. Obéissez, pour conjurer les menaces du destin ! »

    La voix terrible se tut, brisée par un effort surhumain, par une surexcitation de folie et de haine. A cet appel farouche succéda un effroyable silence, comme si un souffle de mort venait de passer sur les bois endormis, et l’on ne perçut plus que le frôlement des robes des prêtres et des druidesses disparaissant dans les ténèbres. La fada, l’ignoble fée, restée seule au pied du dolmen, la face crispée par un rictus satanique, attendait l’heure prochaine de sa vengeance.

    Minuit. La lune est maintenant voilée de gros nuages noirs. Là-bas, vers l’ouest, un grondement sourd monte du large banc de sable qui barre l’entrée de la baie d’Anchoine. Ce bruit lointain, inaccoutumé, se rapproche sous la poussée des vents du large, semble l’annonciateur d’une tempête. Dans l’obscurité, les druides rentrent sous bois, un à un, se faufilent entre les chênes, viennent ranger autour du monument celtique. Ce sont bien des fantômes, des fantômes de mort, qui marchent dans les ténèbres. Et le grondement de l’Océan se fait plus lugubre, roule vers la clairière avec une force croissante, comme si quelque ouragan, venant d’un monde inconnu, chassait devant lui des flots soulevés jusque dans leur profondeur.

    Le moment tragique était arrivé. Quatre hommes, vêtus de peaux de bêtes, les cheveux incultes tombant sur leurs épaules, surgirent dans la nuit, portant une femme à demi morte, dont les gémissements auraient ému des êtres moins sauvages. La tempête faisait rage, les arbres, secoués d’un étrange frémissement, semblaient se serrer les uns contre les autres, comme pour faire plus grande la clairière maudite où le dolmen, aux contours noyés d’ombre, s’allongeait, pareil à une pierre tombale posée au-dessus de la fosse d’un géant. Trois druidesses, drapées dans leurs robes flottantes, s’avancèrent pour saisir la victime, pendant que les prêtres chantaient un psaume mystique, dont les notes se perdaient dans la nuit. Myrghèle, mue par une force supérieure, escalada le dolmen et les trois druidesses jetèrent Sylvane sur la table de granit. Avec des gestes brusques et saccadés, la fada, horrible à voir, les traits décomposés, la figure grimaçante, dévêtit brutalement la victime et, tirant un stylet de sa ceinture, s’agenouilla pour lui percer le coeur.

    A la minute même où Sylvane allait être immolée, un éclair déchira le ciel, un cataclysme effroyable bouleversa l’île d’Armotte. La terre trembla, un abîme immense, monstrueux, s’ouvrit brusquement, où le dolmen et tous ceux qui l’entouraient disparurent. Les arbres s’abattirent les uns sur les autres et tombèrent dans le gouffre. La mer déchaînée montait, montait toujours, avec une violence croissante, submergeait, d’un raz de marée dévastateur, l’île entière. Au soleil levant, Anchoine n’existait plus, tous ses habitants avaient été noyés. La foudre, la tempête, l’Océan en furie s’unirent en ce temps-là pour modifier profondément la configuration du rivage. Armotte disparue, les flots eurent, par la suite, toute facilité pour aller saper, déchiqueter, et enfin abattre les rochers du Chapus.

    La baie d’Anchoine allait devenir, au cours des siècles, le pertuis de Maumusson, et le territoire d’Oléron, l’île qu’ont trouvée les proconsuls romains au début de l’ère chrétienne. On voit aujourd’hui les ruines d’un dolmen à la pointe du rocher d’Ors, sur la côte d’Oléron, à une faible distance de la situation présumée de l’île d’Armotte. Si on pense aux perturbations géologiques qui ont apporté tant de changements à cette partie du littoral, il est permis de supposer que le dolmen d’Anchoine, après avoir été roulé par les flots dans les profondeurs sous-marines, s’est trouvé à la pointe d’Ors quand le niveau des eaux a baissé. N’a-t-on pas la preuve de cet abaissement dans la position actuelle des grottes de Meschers ?

    Les légendes s’inscrivent en marge de l’histoire, mais elles sont, bien souvent, l’écho de traditions millénaires, ayant trouvé leur origine dans des événements ou des faits qui ne sauraient être purement imaginaires. L’existence d’Anchoine ne peut être mise en doute, non plus que celle de l’île d’Armotte et des autres îles du pays d’Arvert, devenues continentales.

    Au Moyen Age, des marins ont affirmé, alors qu’ils naviguaient près de l’embouchure de la Seudre, avoir vu, par mer calme et limpide, des toitures, des crêtes de murailles presque à fleur d’eau. Ils avaient l’impression de passer au-dessus d’une petite ville immergée, tant étaient nombreuses les ruines de constructions. Encore une légende, dira-t-on ? Peut-être. Ce qui n’en est pas une, c’est l’existence actuelle du « fond d’Anchoine », près de Ronce-les-Bains, et du petit écueil de Barat, à l’embouchure de la Seudre, reste d’un îlot qui a tenu à la terre ferme et était cultivé au XIVe siècle.

     

    source : https://www.france-pittoresque.com/spip.php?article1973


    votre commentaire


    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
    Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique