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  • trouvé sur lemonde.fr

    « Poisson d’avril » : histoire d’une tradition

    C’est probablement du changement de datation opéré sous Charles IX, qui fait commencer l’année en janvier et plus en mars, que vient l’origine des blagues du premier jour d’avril. L’origine du poisson, elle, est plus incertaine.

    Par 

     

    pour lire plus :

    https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2018/04/01/poisson-d-avril-histoire-d-une-tradition_5279219_4355770.html

     

     

     


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  • Bergères du Berry :
    leur Vendredi blanc et leur peur du loup

    (D’après « Le Berry. Moeurs et coutumes », paru en 1902)

     

    Au XIXe siècle, dans certains cantons du bas Berry, on continue de donner le nom de Vendredi blanc au vendredi qui se trouve neuf jours avant Pâques. C’est une fête toute pastorale et qui intéresse particulièrement les bergères. Ce jour-là, elles jeûnent, et, dans les environs de La Châtre, elles se rendent par troupes nombreuses à la ville pour assister à la messe, munies de singulières baguettes.

    Chacune d’elles porte en effet un petit faisceau de bâtons blancs, ou de baguettes de coudrier, dont l’écorce a été enlevée, et qui, parfois, ont été guisées, c’est-à-dire enjolivées de bizarres et capricieuses sculptures par les amoureux. Ces baguettes, formées d’un seul jet, et coupées à certains jours de la lune, doivent, durant le cours de l’année, servir de touches pour toucher (conduire) et compter les brebis.

    Les verges de coudrier passent dans ces contrées, comme en plusieurs autres pays, pour avoir des vertus secrètes. « Je craignons pas les sorciers, j’avons une baguette de coudrier », dit une bergère vosgienne, dans les Anges du foyer d’Emile Souvestre. Cette croyance se retrouve chez les anciens Scandinaves : « Tu ferais mieux de tenir à la main une gaule de coudrier et de mener paître les chèvres », est-il dit dans les Eddas, poème antique sur les Voels. D’autres passages des mêmes livres attestent que ces baguettes étaient aussi sculptées.

    Jeune fille berrichonne
    Jeune fille berrichonne

    Aux environs de Cluis, c’est particulièrement de gaules de petou (bouleau) que les bergères se pourvoient, le jour du Vendredi blanc. Elles vont quelquefois les chercher fort loin. Or, le bouleau paraît avoir partagé, avec le chêne et l’aubépine, les honneurs sacrés chez les anciens peuples de la Gaule, rapporte De la Villemarqué dans ses Romans de la Table Ronde.

    Quelques-unes de ces baguettes servent aussi de quenouilles. Les sculptures bizarres dont elles sont encore, mais rarement ornées — car cet usage se perd —, rappellent ces runes ou caractères secrets dont il est si souvent parlé dans les Eddas, et que les peuples septentrionaux traçaient autrefois sur une foule d’ustensiles, tels que des cornes à boire, des poignées d’épées, des bâtons, etc., et auxquels ils attribuaient des propriétés mystérieuses. « Kostbera était célèbre, disent les Eddas ; elle savait expliquer les runes et lire les bâtons runiques à la clarté du foyer. »

    Cette coutume existait également dans l’ancienne Egypte, où les prêtres et les magiciens portaient habituellement des bâtons sur lesquels étaient gravés des caractères hiéroglyphiques. Les figures que les bardes gallois du Moyen Age appelaient rhîn ou run, c’est-à-dire mystères, et dont la signification n’était connue que des initiés ; les lettres magiques qui composaient l’ogham ou l’ancien alphabet national de l’Irlande, ne sont pas sans analogie, quant à la forme, avec les sculptures que portaient, il y a quarante ans, les bâtons guisés de nos bergères berrichonnes.

    Les baguettes du Vendredi blanc sont toujours, dans chaque faisceau, de longueur inégale et en nombre impair. Cette dernière circonstance révèle encore la trace d’une antique tradition ; car il est évident que nos bergères pensent comme les anciens, que le nombre impair est agréable à la Divinité : numero Deus impare gaudet. La même croyance existe en Chine, où, par la même raison, les étages des pagodes les plus importantes sont toujours en nombre impair. Ce nombre, aux yeux de Pythagore, passait pour le plus parfait. Le nombre septénaire, qui se retrouve si souvent dans la Bible, notamment dans le Lévitique, appartenait aux choses sacrées. Selon Corneille Agrippa, il était réputé pour très puissant soit en bien, soit en mal. Le nombre ternaire, regardé par les anciens comme non moins parfait, était sacré dès les âges les plus reculés, principalement dans l’Inde et dans les Gaules.

    Au début du XIXe siècle, lorsque le prêtre de La Châtre avait béni les bâtons blancs, les bergères des environs, à l’instar des païens qui frappaient souvent les images de leurs dieux afin de raviver leur vertu, n’oubliaient jamais de toucher et, au besoin, de battre assez vertement de leurs gaules la statue de saint Lazare placée dans l’une des chapelles de l’église ; car saint Lazare, en raison de la consonance de son nom, est pour elles la personnification du hasard, et préside essentiellement à la destinée si incertaine des troupeaux. Les bâtons blancs, une fois consacrés, sont suspendus au plancher des bergeries, où la bergère vient les prendre un à un, au fur et à mesure de ses besoins.

    Nous remarquerons, à propos de ces usages, que le bâton dépouillé de son écorce, ou bâton blanc, était autrefois un symbole de sujétion. Il était l’attribut des suppliants. Quant à la coutume de faire succéder aux supplications adressées aux saints les menaces et même les lierions, elle semble avoir existé dans tous les temps et dans tous les pays. Les agriculteurs, au Moyen Age, l’avaient poussée fort loin. « Autrefois, dit Alexis Monteil, dans le Quercy, lorsque la récolte était mauvaise, les paysans couraient aux églises, en arrachaient les saints, les traînaient et les fustigeaient pour avoir laissé grêler leurs champs et geler leurs vignes ». En 1692, pendant le siège de Namur, l’eau étant tombée à verse, le jour de saint Médard, « les soldats, au désespoir de ce déluge, firent des imprécations contre ce saint, en recherchèrent les images, et les rompirent et brûlèrent tant qu’ils en trouvèrent », écrit Saint-Simon dans ses Mémoires.

    Plusieurs de nos provinces continuèrent longtemps de se livrer à ces superstitieuses irrévérences. En voici un remarquable exemple : « Le pêcheur dieppois professe une dévotion outrée pour le patron de sa barque, dont une image enluminée est placardée au fond de sa cabine. Il tombe souvent aux pieds de ce saint, ordinairement apocryphe, et lui adresse les plus naïves prières ; mais aussi gare au saint, s’il tarde trop à accorder au marin la grâce qu’il sollicite ! Le Dieppois impatient l’accable d’injures, et crible parfois la vénérable image de coups de couteau », nous apprend J. Cauvain dans Dieppe.

    À Naples, de vieilles et sordides mendiantes, qui se disaient cousines de saint Janvier, gourmandaient et malmenaient leur divin parent, pour peu qu’il fût trop lent à opérer son célèbre miracle : — « Allons, canaille, brigand, vieil édenté, chien pourri, faccia gialluta, fato miracolo ! (face jaune, fais ton miracle !) » — face jaune, parce que le saint est représenté par un buste en argent à tête d’or — lui crient-elles d’une voix menaçante et furibonde. Et pourtant saint Janvier est l’idole des Napolitains, et ils sont fermement persuadés que Dieu ne règne aux cieux que par sa permission, relate Maxime du camp dans La Conquête des Deux-Siciles.

    Les Grecs et les Romains, en certaines circonstances, ne portaient guère plus de respect à leurs dieux. Théocrite, idylle VII, parle de chasseurs qui donnent des coups de fouet au dieu Pan, pour le punir de ce qu’une chasse, entreprise sous ses auspices, n’avait point réussi.

    Après la cérémonie religieuse du Vendredi blanc, les bergères sont dans l’habitude de se rendre au cabaret et de s’y restaurer parfois un peu plus copieusement que ne le comporte une fête pastorale et surtout un jour de jeûne. Des danses succèdent au repas, puis les jeunes pèlerines du Vendredi blanc s’en retournent en chantant dans leurs villages. Cette champêtre solennité rappelle les antiques Palilies, fêtes instituées par les Romains en l’honneur de Palès, la déesse des bergers et des troupeaux. Les Palilies se célébraient précisément à la même époque que notre Vendredi blanc.

    Indépendamment du Vendredi blanc, il est encore une grande fête pour nos bergères, c’est celle des tondailles. Nous désignons ainsi l’époque où l’on tond les brebis. Ce mot fut longtemps français : « Estimant qu’en iceluy pays, festin on nommast crevailles, comme de ça nous appelons fiançailles, espousailles, relevailles, tondailles, mestivailles... » (Rabelais). « Conservez la fraîcheur de vos rieuses grisettes ; dans les campagnes, la joie de vos bourrées, le festin des tondailles avec ses galettes et sa fromentée. » (Henri de la Touche, Le Déshérité)

    Fileuses du Berry
    Fileuses du Berry

    Les tondailles ont ordinairement lieu vers la fin de juin. Elles étaient autrefois l’occasion de grandes réjouissances dans nos domaines. Les propriétaires faisaient, ce jour-là, des présents aux bergères ; ils leur donnaient des épingles : « Item, le sixième jour dudit mois, ung millier d’espingles pour donner aux bergières de la mestaierie de Bourdoiseau (près l’étang de Villiers, dans le Cher), durant tondailles. » (Comptes des receveurs de l’Hoslel-Dieu de Bourges, 1500, 1501) La Cour de Bourges prenait jadis, chaque année, le 23 juin, veille de la Saint-Jean, un congé de huit jours, connu sous le nom de vacances des tondailles.

    Les métayers régalaient ceux de leurs voisins et de leurs amis qui les avaient aidés à tondre leurs troupeaux, et c’était un grand plaisir pour le maître de la ferme d’aller en tondailles avec toute sa famille et d’assister au banquet et aux danses qui signalaient cette fête champêtre.

    Nos bergères avaient pour habitude de cacher le nombre précis de leurs moutons, car elles pensaient que si elles en accusaient exactement le chiffre, elles s’exposeraient à le voir prochainement diminuer. Si vous demandiez à une bergère combien elle avait de brebis, et qu’elle en avait, par exemple, 98 ou 104, elle vous répondait toujours : « J’en ai près d’un cent, ou un peu plus d’un cent », et jamais : « J’en ai 98 ou 104. » On trouve des traces de cette superstition dans le proverbe : Brebis comptées, le loup les mange.

    Par suite du même préjugé, on n’oubliait jamais de placer dans les parcs d’abeilles une ou deux ruches vides pour en dissimuler la quantité réelle. Cette précaution suffisait, assure-t-on, pour dérouter les sorciers ou autres personnes malintentionnées, et réduire à néant tous leurs maléfices. C’est sans doute encore cette superstition qui fait que beaucoup de gens ne veulent pas déclarer exactement le nombre de leurs années.

    Nos bergères croyaient en outre que le loup était neuf jours badé (ouvert), et neuf jours barré (fermé) ; ce qui veut dire que pendant neuf jours il a la mâchoire libre et mange tout ce qu’il rencontre, et que, pendant les neuf jours suivants, il ne peut desserrer les dents et se trouve condamné à un long jeûne. De là, notre locution proverbiale : « Faire un repas de loup », c’est-à-dire manger beaucoup, manger pour neuf jours. Dans quelques-uns de nos villages, les bergères vous diront que « le loup vit neuf jours de chair, neuf jours de sang, neuf jours d’air et neuf jours d’eau, et qu’il n’est à craindre que dans les dix-huit jours durant lesquels il se nourrit de chair et de sang », écrit le Dr Robin-Massé dans la Revue du Berry.

    Il passe aussi pour certain que si le loup qui survient pour enlever un mouton, voit la bergère avant d’en être vu, à l’instant même, celle-ci devient rauche (enrouée), au point de ne pouvoir crier. Alors, il ne lui reste qu’une ressource — mais cette ressource est infaillible —, c’est de se décoiffer et de courir sus au loup, les cheveux épars ; elle est sûre en agissant ainsi de le mettre en fuite. Si, au contraire, le loup est aperçu le premier, il perd tout pouvoir sur la bergère et le troupeau.

    Les Romains admettaient une partie de ces croyances. Pline parle de cette superstition dans le chapitre 34 de son Histoire naturelle, et Cardan (de Subtilitate) dit « qu’il y a quelque chose aux yeux du loup contraire à l’homme, par laquelle l’haleine est empeschée, conséquemment la voix. » Enfin l’on trouve dans les Evangiles des quenouilles les passages suivants : « Se aucun voit le loup devant que le loup le voye, il n’aura povoir de lui méfaire, et pareillement la personne au loup. Si le loup poeult une personne approchier à sept piés près et la veoir en la face, de son alaine rend la personne tant enrouée qu’elle ne poeult crier. »

     source : Bergères du Berry : leur Vendredi blanc avant Pâques, leur peur du loup, les tondailles (france-pittoresque.com)

     

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    Coutume de la promenade à dos d'âne, à Montluçon : ici, c'est le mari battu qui est promené par toute la ville, monté à l'envers sur un âne, coiffé d'un bonnet de coton, armé d'une quenouille, et portant dans le dos un écriteau où sont écrits ces mots : Battu par sa femme et content. Illustration parue dans Le Petit Journal, supplément illustré du 1er avril 1900

    Querelles conjugales à l’origine d’une
    promenade sur un cheval, âne ou boeuf
    pour le voisin du mari battu
    (D’après « Bulletin de la Société philomatique vosgienne », paru en 1880)
     
     
    Se pratiquant notamment en Lorraine et à l’origine de plusieurs procès visant à l’enrayer, la coutume consistant à promener sur un âne, un cheval ou un bœuf, le dos tourné à la tête de l’animal, tout individu ayant négligé de donner main-forte à son voisin lors de querelles conjugales, dégénérait souvent en rixes sanglantes sanctionnées par des arrêts de 1718, 1755 et 1756

    Tout individu ayant laissé son voisin recevoir de sa femme une de ces corrections dont la distribution paraît être le privilège du sexe le plus fort, était contraint de chevaucher l’animal choisi, le voisin du battu répondant donc à la société de l’atteinte portée à l’honneur marital : c’était une espèce d’assurance mutuelle entre les hommes mariés.

    Quelle est l’origine de cet usage ? C’est ce qu’on ignore complètement, et il serait également difficile d’indiquer à quelle époque il commença à être en vigueur pour la première fois. Ce qui est certain, c’est qu’il s’exerçait au XVIIIe siècle, non seulement dans plusieurs villes de Lorraine, notamment à Saint-Mihiel et à Saint-Dié, mais encore dans de simples villages.

    Le premier document qui constate l’existence de cette singulière coutume, est un arrêt de la Cour souveraine, du 21 mars 1718, dont le préambule mérite d’être cité textuellement. Il est ainsi conçu :

    Homme battu par sa femme. Chromolithographie du XIXe siècle
    Homme battu par sa femme.
    Chromolithographie du XIXe siècle

    « Veu par la Cour la requête présentée par le Procureur Général, expositive qu’il est informé qu’il s’est introduit depuis quelques années, dans la ville de Saint-Mihiel, un usage de faire promener et conduire par les ruës, le Mardy-gras de chaque année par les Garçons ou Bourgeois de la Ville, un boeuf sur lequel ils font asseoir un ou plusieurs bourgeois de la même ville, chargéz, à ce qu’ils prétendent, d’avoir laissé battre son voisin par sa femme, et en punition de cette négligence ; pour témoignage de laquelle on lui met sur les épaules des écriteaux devant et derrière portant désignation de cette peine et du fait qui y a donné lieu.

    « Cette cérémonie ridicule et extravagante est accompagnée ou suivie de toute la populace, avec des cris et des huées scandaleuses, d’autant plus grandes que souvent le peuple se donne la liberté de faire des applications personnelles du sujet qui a donné lieu à cette conduite, à des familles de considération, auxquelles on impose (impute) des faits qui rejaillissent sur la réputation et qui peuvent être fabuleux et inventéz : Que le Mardy-gras dernier, cette conduite s’est faite avec plus de licence encore que les années précédentes, et si elle était tolérée plus longtemps, il y a lieu de croire que le désordre s’en augmenterait chaque année.

    « Et comme cette coutume qui s’établit insensiblement est non seulement abusive, indécente et contre les bonnes mœurs ; qu’elle ne peut aboutir qu’à des yvrogneries, des querelles et des dissolutions ; mais encore qu’elle peut exciter la juste indignation des Familles qui se trouvaient impliquées dans les contes populaires qu’on y fait, et qui grossissent de bouche en bouche à mesure qu’ils se répandent, et par là donner lieu à des ressentiments qui pourraient avoir des suites fâcheuses ; le Remontrant a intérêt, par le devoir de sa charge, de requérir la Cour d’interposer son autorité pour faire cesser ces désordres et ces causes. »

    La Cour, sur les conclusions conformes du procureur général rendit un arrêt portant :

    « Qu’elle a fait très-expresses inhibitions et défenses à tous Bourgeois et Manans, habitants de la ville de Saint-Mihiel, de conduire et faire promener à l’avenir par les ruës de la dite ville, le Mardy-gras ou autres jours de l’année, sous quelque prétexte que ce soit, un bœuf qu’ils avoient coutume de faire promener ledit jour par les Garçons ou. Bourgeois, et sur lequel ils faisoient assoir un ou plusieurs bourgeois, à peine de cinq cents francs d’amende contre chacun de ceux qui conduiront ledit bœuf et contre celui qui le prêtera pour le même usage, applicables moitié au domaine de S. A. R., moitié à la maison de charité de la dite ville de Saint-Mihiel. Enjoint aux officiers de police d’y tenir la main, à peine d’en répondre en leur pur et privé nom. »

    Il est probable que la sévérité de la Cour souveraine mit fin pour toujours aux scandales dont Saint-Mihiel était depuis quelques années le théâtre ; mais son arrêt n’ayant pas une application générale, le même usage continua à se pratiquer, quoique sous une forme différente, dans la ville de Saint-Dié. Là, au lieu d’un bœuf, c’était un âne qu’on choisissait pour y faire monter le malheureux qui avait négligé de donner main-forte à son voisin lors de ses querelles conjugales. Un individu ayant refusé de se prêter à cette burlesque cérémonie ne perdit rien des assauts qui lui étaient réservés ; le peuple et l’âne firent une longue station devant sa porte sans que la police pût s’y opposer. Le ministère public informa contre les meneurs et les fit condamner à l’amende ; ceux-ci en appelèrent à l’usage et à la Cour souveraine. Mais cette dernière, loin de faire droit à leur requête, rendit le 9 janvier 1755 l’arrêt suivant, qui dut mettre un terme à la promenade à l’âne à Saint-Dié, comme l’arrêt de 1718 avait mis un terme à celle du bœuf à Saint-Mihiel.

    Voici le texte de cet arrêt : « Vu par la Cour la procédure extraordinaire instruite à la Requête du Substitut du Procureur Général au Bailliage Royal de Saint-Diez, à l’encontre de Charles Glaudel, Marchand Boucher de la même ville, accusé, appelant d’une sentence rendue audit siège le 31 juillet dernier, par laquelle il est dit qu’il résulte preuve suffisante, tant par les informations que par les aveux dudit Charles Glaudel et ses interrogatoires, que ledit Charles Glaudel accusé, a, le Lundi 15 dudit mois, vers les dix à onze heures du matin, fait conduire un âne bâté au-devant de la maison d’Alexis Voirin, interpellé ledit Alexis Voirin de se mettre dessus à l’effet d’être conduit par les ruës de la ville de St. Diez pour n’avoir prêté secours à François Simon, son voisin, et avoir souffert que sa femme l’ait battu le jour précédent ; ce qui a attiré les cris et huées des Bourgeois et enfans assemblés pour la nouveauté du cas ; et sur le refus dudit Voirin, laissé cet âne attaché au-devant de la maison près d’un quart d’heure ; ce qui n’a que mieux informé le public de l’usage scandaleux auquel il étoit destiné : ce qui est un abus expressément condamné par Arrêt de la Cour, du 21 mars 1718.

    « Pourquoi, et cependant, attendu que le projet dudit Charles Glaudel n’a pas eu son entière exécution, on l’a condamné à dix francs d’amende, moitié applicable à la bourse de la charité de la ville de Saint-Diez et aux dépens, sauf son recours contre qui il avisera bon être et défenses au contraire ; il lui est fait défenses, et à tous autres, de faire pareil scandale, sous les peines portées par ledit Arrêt, à l’effet de quoi la présente sentence sera luë, publiée à son de tambour et affichée en la place publique de la ville de Saint-Diez à ce que personne n’en prétende cause d’ignorance.

    « Conclusions du Procureur Général. Ouï le sieur Lefebvre, conseiller, en son rapport ; tout considéré : La Cour, dit qu’il a été mal jugé, bien appelé, émandant, a condamné Joseph Bondidier, Joseph Voinier, Charles Glaudel, Jean Schelte et Nicolas Cornette chacun en cinq francs d’amende, applicable, moitié au Domaine de Sa Majesté, moitié à l’hôpital de Saint-Diez et aux dépens de première Instance, qu’elle a modéré à 25 francs Barrois, et à ceux d’appel, payables par cinquième entre eux et solidairement ; a déclaré son Arrêt du 21 mars 1718, rendu pour la ville de Saint-Mihiel, commun dans tous les Etats du Roy ; à l’effet de quoi il sera de nouveau, ensemble le présent Arrêt, à la diligence du Procureur Général, lu à la première Audience publique de la Cour et envoyé dans tous les Bailliages, Prévôtés et Hôtels-de-ville de son ressort, pour y être pareillement lu, publié et registré, à la diligence des Substituts du dit Procureur Général. Fait et jugé à Nancy en la Cour, Chambre des Enquêtes, le 9 janvier 1755. Signé : Du Rouvrois, F. Lacroix. »

    Malgré ce second arrêt, qui déclarait celui de 1718 « commun dans tous les états du roi », la coutume que la Cour souveraine voulait abolir fut loin de disparaître, et, dès l’année suivante, on la voit se pratiquer bruyamment dans le village de Flavigny, c’est-à-dire à quelques lieues de la capitale et, si on osait se servir de ce terme, presque à la barbe des magistrats. Un dossier de pièces se trouvant aux archives de Nancy retrace dans les plus grands détails, toutes les scènes, à la fois burlesques et sanglantes, qui accompagnèrent cette manifestation. La première de ces pièces est la requête du procureur d’office, commis au juge-garde des terres et seigneuries de Flavigny ; elle porte :

    « Qu’il vient d’apprendre qu’il s’est introduit depuis quelques années, dans ce lieu, un usage de faire conduire et promener dans les rues le Mardy-gras de chaque année par certains garçons et habitants du village, un bœuf sur lequel ils font monter un homme du lieu, pour avoir, à ce qu’ils prétendent, laissé battre son voisin par sa femme. Que le Mardy-gras dernier et le lendemain, jour des Cendres, sur les neuf à dix heures du soir, certains habitants de la communauté, suivis d’une quantité d’enfants, conduisaient un homme monté sur un bœuf, dont il tenoit la queue en main pour bride, une partie des assistants ayant des flambeaux, accompagnés de trompettes et violons, avec grand bruit et acclamations, allèrent depuis le haut de la grande rue jusqu’au pont, et de là étant revenus allèrent chez un autre particulier pour le monter sur ce bœuf et luy faire faire le même tour.

    Coutume de la promenade à dos d'âne, à Montluçon : ici, c'est le mari battu qui est promené par toute la ville, monté à l'envers sur un âne, coiffé d'un bonnet de coton, armé d'une quenouille, et portant dans le dos un écriteau où sont écrits ces mots : Battu par sa femme et content. Illustration parue dans Le Petit Journal, supplément illustré du 1er avril 1900
    Coutume de la promenade à dos d’âne, à Montluçon : ici, c’est le mari battu qui est promené
    par toute la ville, monté à l’envers sur un âne, coiffé d’un bonnet de coton,
    armé d’une quenouille, et portant dans le dos un écriteau où sont écrits ces mots : « Battu par
    sa femme et content ». Illustration parue dans Le Petit Journal, supplément illustré du 1er avril 1900

    « Mais ce particulier n’ayant voulu correspondre à leur extravagance, auroient cassé les vitres de sa maison et l’auraient maltraité, même à coups d’épée. Comme cette conduite indécente, scandaleuse et contre les bonnes mœurs, ne peut provenir que par une suite d’yvrogneries, le Remontrant est nécessité d’en découvrir les auteurs et faire supprimer un tel scandale, déjà condamné par arrêt de la Cour souveraine du 21 mars 1718. A ces causes requiert votre jour, lieu et heure pour informer des faits, tant du Mardy que du Mercredy, circonstances et dépendances ; en conséquence permettre d’assigner tous témoins nécessaires, pour lesdites informations faites et communiquées être prises telles conclusions que de droit. »

    Conformément â cette requête, le sieur Dominique Félix, avocat au parlement, bailli au siége bailliager au comté de Guize (Neuviller)-sur-Moselle, juge-garde des terres et seigneuries de Flavigny, ordonna la comparution par devant lui d’un certain nombre d’individus, hommes et femmes, prévenus d’avoir pris part aux actes dénoncés par le procureur d’office. On n’a pas les interrogatoires des accusés, mais seulement les dépositions des témoins dont voici quelques extraits ; on croirait, en les lisant, assister à une véritable scène de police correctionnelle :

    « Information faite par nous Joseph Dominique Félix, avocat en la Cour, bailly au siège bailliager du comté de Guize, y résidant, et juge et gruyer des terres et seigneuries de Flavigny, à la requête du procureur d’office commis pour l’absence de l’ordinaire, ezdites terres et seigneuries, à. l’encontre de certains habitants et garçons desdits lieux de Flavigny, accusés d’avoir promené et conduit par les rues les Mardy-gras et Mercredy des Cendres derniers, un bœuf sur lequel ils ont fait monter un homme du lieu pour avoir, à, ce qu’ils prétendent, laissé battre son voisin par sa femme ; à laquelle (information) avons, en exécution de notre ordonnance du 8 de ce mois, procédé comme s’en suit, en présence de notre greffer commis, pour l’empêchement de l’ordinaire, soussigné, duquel nous avons pris et reçu le serment au cas requis.

    « Du 15 mars 1756, neuf heures du matin, en la chambre du conseil. Noël Clément, maître boulanger, demeurant à Flavigny, âgé de 68 ans, lequel après serment de dire la vérité (...) a dit et déposé (...) que, le Mardy gras et le Mercredy des Cendres derniers, il a vu passer, environ huit heures du soir, devant chez luy, un bœuf conduit par différentes personnes, n’ayant pu distinguer depuis sa porte, sur laquelle il étoit, qui c’étoit , il s’aperçut seulement, le jour du Mardy-gras que ce bœuf était monté par François Vermandé, le jeune ; et pour le Mercredy des Cendres, il n’a pas pu distinguer qui c’était ; il a seulement ouï dire que c’étoit Claude Collignon qui étoit monté sur ledit boeuf.

    « (...) Anne Colin, femme à Joseph Munier, boucher, demeurant à Flavigny, âgée de 40 ans (...), a dit et déposé (...) que, le jour du Mardy-gras dernier, elle a vu passer devant chez elle un bœuf monté par François Vermandé, qui avoit le dos à la tête de ce même bœuf, qui en tenoit la queue pour luy servir de bride, soutenue par différents habitants de ce lieu qu’elle n’a pas connus, avec des fourches sous les bras, suivis d’un grand nombre de personnes et d’enfants, dont plusieurs portoient des écorces de chênes qui leur servoient de flambeaux, et Marie Picard, fille du pâtre de ce lieu, qui les accompagnoit avec une corne dans laquelle elle cornoit pour avertir le public de cette scène : Et quant au Mercredy des Cendres, la déposante a aussi vu passer un autre boeuf appartenant à François Simonin, laboureur de ce lieu ; qui le conduisoit monté par Collignon, qui avoit aussi le dos tourné à la tête, tenant la queue de ce bœuf pour luy servir de bride, accompagné d’un grand nombre de personnes et d’enfants ; de Joseph Carré, de Charles Jeanmaire et d’Adrian, un Flamant, résidant â Flavigny, qui portoient des écorces allumées pour flambeaux, environ les huit heures du soir de chaque jour.

    « Elle qui dépose vit aussi, ce jour là, Joseph Drian, garçon tailleur, qui précédait ce bœuf avec un violon dont il jouoit., avec ladite Marie Picard, qui donnoit aussi de sa corne comme la veille, jour du Mardy-gras ; accompagné aussi de Pierre Guérin qui avoit attaché au bout d’un bâton une bayonnette, pour escorter la compagnie. Et après avoir promené ce bœuf dans les rues, revenant du pont, s’arrêtèrent devant chez Me Henry, procureur en ce lieu, qui leur donna un coup à boire ; et de là vinrent chez Landry boire aussy devant la porte, le bœuf monté alors par Joseph Ferry de la même manière que les précédents ; et de là retournèrent chez Léopold Dècle, ne sachant ce qu’ils y alloient faire que lorsque le bruit se répandit que cet Adrian Flamant étoit tué. La déposante y courut, et effectivement, étant arrivée chez Dècle ; elle y vit ce Flamant dans le poêle étendu sans connoissance ; elle dit à des coquetiers qui se trouvèrent là et qui tenoient cette homme par les cheveux, pourquoy ils le battoient ainsy. Ils le quittèrent et se retournèrent vers elle.

    Homme battu par sa femme. Chromolithographie du XXe siècle
    Homme battu par sa femme.
    Chromolithographie du XXe siècle

    « A l’instant Joseph Ferry se saisit du même Flamant et l’emporta à la porte où il reprit connaissance. Dans le même moment, elle vit une chaise en l’air soutenue par l’un de ces coquetiers pour (la) luy ravaler sur la tête, qu’elle détourna avec ses mains ; et, de suite, fit ce qu’elle put pour empêcher un nommé Arnould, autre Flamant avec Landry le père et le fils, ce dernier muny de la bayonnette que Guérin portoit, d’entrer chez Dècle pour se venger des coups que l’on avoit donné à Adrian ; après les avoir fait reculer dans la rue, excepté Landry fils, qui y entra avec sa bayonnette ; ne sachant ce qu’il y fit parce qu’elle ferma la porte à son frère et à Arnauld, qui s’en retournèrent, à ce qu’elle croit, chez eux. »

    Le Procureur d’office estima qu’il y avait lieu d’assigner les différents individus qui avaient pris part aux scènes précédentes, pour être ouïs sommairement sur les faits résultant contre eux des informations, pour être prises telles conclusions que de droit. Il est fâcheux qu’on ne possède pas cette dernière partie de la procédure, non plus que la sentence rendue contre les prévenus. Mais ce qui est connu de cette affaire suffit pour faire voir combien l’usage pratiqué dans certaines localités, usage que les folies du carnaval pouvaient autoriser jusqu’à un certain point, entraînait d’abus avec lui, et combien les tribunaux avaient eu raison de sévir avec vigueur pour le faire disparaître.

    Ce but ne fut qu’imparfaitement atteint ; en 1775, la Cour souveraine fut forcée de mettre de nouveau un interdit sur la promenade à l’âne de Saint-Dié. Néanmoins, cette coutume était trop profondément entrée dans les habitudes pour périr sous les arrêts de la justice ; elle survécut même à la Révolution, qui effaça tant de traditions d’une autre époque, et les personnes d’un certain âge pouvaient encore, au XIXe siècle, se souvenir d’avoir assisté, il y a quelque quarante ans, à des spectacles de ce genre qui, plus d’une fois, dégénérèrent en rixes sanglantes.

     

    source : https://www.france-pittoresque.com/spip.php?article5694


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